RX&SLAG, Paris

Jean-Baptiste BOYER

Un Amour perdu

Avec cette nouvelle exposition, la galerie RX&SLAG est heureuse d'annoncer sa représentation de Jean-Baptiste Boyer, un des représentants du renouveau de la grande peinture contemporaine. Il rejoint ainsi l'équipe des 25 artistes avec lesquels la galerie travaille.

Pour ce solo show, le jeune artiste français né en 1990 déploiera dans tous les espaces de la galerie une série inédite sous le titre « Un amour perdu », dont certaines œuvres ont été créées pour l'occasion. Au fil de la vingtaine de tableaux, on évolue dans un univers à la frontière entre la nostalgie et la mélancolie, le réel et le fantastique, le récit et l'invention. Chaque peinture sensible et à fleur de peau est une fenêtre sur les états d'âme de l'artiste – héritier du Romantisme –, mais aussi une ode à la liberté, à la beauté et une dénonciation de tout carcan, qu'il soit idéologique ou religieux. Une invitation à « Suivre ses démons »...

 

La quête de la lumière

Se mettre à nu. Jean-Baptiste Boyer le fait à la fois avec pudeur et franchise dans cette nouvelle exposition où la peinture apparaît comme un espace intime mais aussi un territoire le protégeant et le mettant à l'abri de la folie du monde. Il y déploie ses états d'âme empreints de mélancolie, un sentiment renforcé par le choix d'une palette de couleurs restreintes où dominent les ocres et les tonalités minérales. Les sujets sortent de la pénombre, à la manière du Caravage et de Courbet, révélés par la lumière dont la quête est comme une obsession pour Jean-Baptiste Boyer. Elle vole parfois la vedette au sujet principal, qu'elle soit artificielle comme dans Lost Love, ou magnifiée en quelques touches rehaussant une partie du piano, du siège, du vase et la bande blanche du blouson du jeune homme dans Miss you. Elle s'accroche sur un détail, le révélant mais contribuant aussi à l'équilibre du tableau. Tout le travail de l'artiste peut être lu à travers ce prisme.

 

Paradoxe

Sa peinture est à la fois terriblement hors du temps et bien ancrée dans notre époque, paradoxe qui affleure sur la toile dans le savant équilibre entre la matière, les décors épurés, l'esthétique de la ruine, la dramaturgie familière de l'histoire de l'art et le choix des sujets représentés. Ce sont des jeunes hommes solaires et sensuels, parfois solitaires, qui sont en pleine introspection ou qui explorent un monde déchu avec une grande curiosité. Ils sont portés par la pulsion de vie, celle qui les pousse à faire la fête mais aussi à revendiquer la liberté de « suivre ses démons » et à mettre à mal tout carcan, social ou religieux. Les propos de Jean Starobinski résonnent – « Les interdits fictifs mènent aux assouvissements imaginaires. » –, ce qui est clair dans le tableau intitulé Quel fardeau. Le jeune garçon au maillot immaculé porte une hampe coiffée d'une croix juste devant une grotte, prête à le happer. Il est menacé par l'obscurantisme qui grignote la société et les esprits, comme un retour du refoulé si on veut rester dans les références psychanalytiques. C'est comme si Jean-Baptiste Boyer expliquait que l'Eden peut se vivre sur terre, il suffit de changer quelques paradigmes et de faire sauter des verrous. Ainsi, les ruines pourraient-elles être lues, au-delà des références à Piranèse ou Hubert Robert, comme le résultat d'un cataclysme salvateur qui aurait permis de remettre à zéro les compteurs.

 

Un monde fantastique

Il y a aussi de la féérie, de la magie et du fantastique dans ses œuvres. Le satyre, traditionnellement associée à Dionysos, fait une incursion dans le monde réel, le diable est ici une figure amicale, les femmes du Baptême pourraient être des sorcières en plein sabbat et portées par une certaine allégresse... Des temporalités se condensent et des mondes se rejoignent dans l'espace de la peinture.

Si, comme l'explique Jean-Baptiste Boyer, tout son travail part des émotions, on peut percevoir l'élaboration de certains symboles : les escargots pour la liberté sexuelle, le squelette pour la vanité, la grotte pour l'obscurantisme, l'arc en ciel pour l'harmonie, la lumière pour le temps qui fuit inexorablement. Certains motifs sont également récurrents dans son travail : la croix, le masque « de clown » et la nudité. Et la quête d'une certaine beauté.

 


 

Entretien avec Jean-Baptiste Boyer

Quel est le fil conducteur de cette exposition à la galerie RX ?
Cette année 2023 a été une année de bouleversements pour moi, avec notamment la perte de mon chien auquel j'étais très attaché. La série exposée porte sur la mélancolie, la tristesse, et aussi sur l'idée du deuil. J'ai fait plusieurs toiles dont le titre parle d'amour perdu : Lost love est écrit en lettres de néon sur un manège abandonné ou Heartbreak décrit une montgolfière en train de brûler. Je n'ai pas une démarche intellectuelle mais sensible. Je retiens des émotions assez simples que je fais transparaître dans mes tableaux. S'il y a un terme qui devrait définir mes derniers tableaux, c'est vraiment mélancolie.


D'où l'importance des titres pour donner des indices ?
Oui, mais le titre vient après coup, une fois que le tableau est achevé. Ce qui donne véritablement l'impulsion est l'émotion. J'imagine mes tableaux comme des films, avec des scènes qui prennent corps dans mon esprit et une bande originale. J'ai fait une série dans le métro parisien abandonné et à l' arrière-plan, j'ai collé une affiche d'un groupe de musique qui n'existe pas. Ainsi, une peinture est un arrêt sur image d'un film que je me raconte, avec personnages et musique fictifs.


Est-ce que cela renvoie à la musique que vous écoutez en peignant ?
En général, je suis très concentré lorsque je peins, donc je n'écoute pas de musique. Ensuite, je suis guitariste et lorsque j'étais plus jeune, j'ai joué un temps dans un groupe amateur, Back on earth. C'était du rock à tendance un peu punk. J'ai gardé ce côté-là que j'aimerais retranscrire dans ma peinture.


Dans l'exposition, il y a plusieurs lieux abandonnés et une certaine esthétique de la ruine. Est-ce que vous faites le lien avec Piranèse ou Hubert Robert ?
Oui, Hubert Robert a pu influencer ma peinture, mais pas uniquement. Il suffit que je me promène quelque part et que je vois de la mousse pousser sur un escalier pour que cela évoque en moi tout d'un coup de la poésie, de l'émerveillement et donc, une matière pour mes tableaux. Je puise mon inspiration à la fois dans l'histoire de l'art et dans la vie quotidienne.


Dans quel monde êtes-vous le plus à l'aise ? Le monde actuel ou celui de la peinture ?
Aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'on vit dans un monde bouleversé qui n'est pas très joyeux et que parfois, la société retourne à une forme d'obscurantisme : ce qui nous paraît acquis ne l'est pas forcément et la religion est en train de prendre une place qu'elle ne devrait pas avoir dans la société. C'est pour cela que l'art est important car il permet de représenter des choses graves ou provocantes toujours avec subtilité et nuance. La peinture, qui est vitale pour moi, me permet de créer un autre monde dans lequel je me sens bien, même si parfois c'est très sombre, et de faire ressortir ce que je ressens.


On est proche du romantisme alors ? Lorsque le paysage traduit les émotions.
Oui, c'est vrai que la période romantique m'inspire énormément avec ces paysages fantasmés qui servent à accentuer la psychologie d'un personnage. Tous les deux sont traités au même niveau.


Quelles sont vos références artistiques ?
Delacroix est un peintre que j'admire énormément pour sa vitalité, cette économie de moyens et sa manière de représenter l'être humain. Il m'intéresse de bout en bout. Je pourrais dire la même chose de Goya et pour dénoter un peu, je dirais que pas mal d'illustrateurs ont nourri ma pratique. Je ne viens pas des Beaux-Arts mais du côté artisanal de l'art et j'ai toujours porté dans mon coeur des illustrateurs qui ont une grande technicité. Je pense à John Howe et à ses illustrations de l'univers de Tolkien – le Fonds Hélène & Édouard Leclerc à Landerneau lui consacrait une exposition jusqu'au 28 janvier 2024. Même si c'est un style complètement différent du mien, je trouve que c'est très beau. Cet imaginaire me parle et rejoint la dimension irréelle qui règne dans mes tableaux. C'est un travail d'imagination.


Le fantastique est en effet de la partie dans certains tableaux, comme dans Summercamp, où un satyre gît à terre. Qu'a-t-il au niveau du ventre ?
Ce sont les côtes de ce satyre mort qui ressortent. Les gamins le regardent comme s'ils avaient découvert une créature fantastique, comme je m'imaginais gamin des créatures fantastiques dans la forêt. Je voulais renouer avec ce côté merveilleux de la vie et les croyances en des choses un peu magiques. Dans un autre tableau, des jeunes tombent sur les vestiges d'une civilisation perdue, des ruines humaines.


Dans ce monde un peu sombre, il y a Suivre ses démons. Est-ce qu'il s'agit d'une invitation à suivre réellement ses démons ou à lutter contre eux ?
J'aurais tendance à dire qu'il faut plutôt les suivre ! Lorsque je représente des démons dans mes tableaux, ce sont plutôt des amis que des ennemis. Plus jeune, j'étais dans une école privée catholique où j'ai pris cette liberté de m'émanciper de ce carcan idéologique et religieux, et je trouve que suivre ses démons, c'est une étincelle de folie et de vie. Cette scène avec le gamin sur les épaules du démon est comme un doigt d'honneur au monde, on suit son chemin sans religion et sans dieu, en étant libre.


Quelle est la place du dessin dans votre processus ?
Il est très important ! J'ai un carnet dans lequel je fais des petites esquisses et si pour les toiles je peins à l'huile, là je travaille avec de la gouache, un médium que j'aime pour ce côté rapide et spontané. De mes carnets de dessin, je sors des thèmes, des idées et il m'arrive aussi de réaliser des dessins sur des calques que je superpose les uns sur les autres pour créer des compositions, des scènes. La peinture vient conclure le processus de recherche en amont et ne représente qu'un tiers du travail.


Tout est donc très construit et vous ne laissez pas de place au hasard ?
Le fait d'avoir des compositions très construites me permet d'avoir ensuite une très grande liberté,
de me laisser aller à la peinture. Avec les fondations de toiles très solides, je peux suivre mon feeling et c'est la touche qui parle.


Au fil des toiles, il semble que vous recherchez avant tout à capter la lumière. Est-ce le cas ?
Oui, la lumière est quelque chose d'important pour moi, c'est pour cela aussi que je pars de fonds assez sombres. J'aime bien l'idée de sculpter la lumière dans mes tableaux, dans cette noirceur de la vie, chercher cette étincelle qui sort de l'ombre, mettre en avant cette lumière pour la sublimer. Dans ces ambiances très sombres, tout à coup, elle émerge !


Est-ce que vous avez l'impression d'avoir une responsabilité dans ce que vous faites ?
J'ai une responsabilité envers moi-même. Je prends l'art très au sérieux et avoir la chance de présenter son travail, de le vendre à des collectionneurs est très engageant. Il est important de rester libre pour créer, quel que soit l'art, je ne m'autocensure donc certainement pas. Je ne cherche pas à provoquer, simplement à faire passer ce que je ressens, mais si un jour pour x raisons je heurtais quelqu'un avec une toile, je n'irai pas m'en excuser. C'est certain.


Quelle place a la beauté dans vos oeuvres ?
Je dirais que je me laisse porter par elle, elle vient naturellement ou pas. Si un tableau est réussi, c'est qu'il détient une forme de beauté. Et si elle n'est pas là, il est raté....


Textes de Stéphanie Pioda