À peine 1 mois après l'annonce de la représentation officielle de Vincent Gicquel, la galerie RX offre à l'artiste un solo show dans son espace parisien. Intitulée « Super Éros », l'exposition réunit une quinzaine d'huiles sur toiles réalisées entre 2019 et 2021, dans lesquelles l'artiste met en peinture la pulsion de vie, l'Éros des grecs. Avec ses personnages hors du temps, nus et saisis dans des situations pittoresques, il nous amène à nous poser les bonnes questions. Il nous surprend. Ses super héros/Éros n'ont pas besoin de capes ou de se cacher derrière des costumes trop pop : ils ne sont pas dupes. Ils s'émerveillent de la vie, des choses simples ; ils sont littéralement en vie et ont conscience de leurs contradictions. Il n'y a pas de jugement ou de morale, juste le plaisir d'être en vie.
Quelle est cette humanité incroyable que met en scène Vincent Gicquel ? Une bande de gais lurons surpris en train de faire des blagues potaches ? Des simples d'esprits obsédés par le sexe ? Des personnages dramatiques sortis de la Divine Comédie de Dante ? On est troublés, partagés entre l'envie de rire ou de s'effrayer avec eux. L'artiste ne tranche pas, bien au contraire : il tient à cette ambiguïté et en joue, jusqu'à nous mettre dans une position inattendue. Ces êtres sont surpris de notre intrusion dans leur quotidien, notre présence en tant que spectateur les gêne. Par leurs expressions et les regards qu'ils nous adressent, ils nous projettent dans leur monde. Le format monumental des tableaux facilite l'effet miroir. Nous faisons désormais partie de la scène.
« Ils sont aussi pathétiques que ridicules mais ce n'est pas grave, ils vous disent que la rencontre avec vous est importante. »
Hommes des débuts ou dégénérés ?
Vincent Gicquel les réduit à des silhouettes, à leur état de signe. Ils sont nus et n'appartiennent pas à notre temps. Aucun élément de décor ne vient les enfermer dans une géographie, dans une époque ou dans un moment de la journée, même s'ils ont des ombres. Ces êtres sont à la fois à l'aube de la Création du monde et au crépuscule de son anéantissement. Peu leur importe, ils sont bien trop occupés pour y réfléchir. Ils sont facétieux et dramatiques, comiques et tragiques à la fois, ce qu'on peut lire sur leurs visages.
« L'expression est dure, drôle ou caricaturale, si elle est forte je m'arrête, mais je ne fais pas forcément quelqu'un qui sourit. » Ce serait trop évident et littéral.
Ils ont l'air fragiles et forts, et Vincent Gicquel tient fondamentalement à cette ambivalence. Dans le tableau Super Eros (2021, 280 x 200 cm), l'un frotte son sexe contre le poteau qui se confond avec son membre en érection tandis que le second est accroché à ce poteau, complètement effrayé.
« Il a peur de l'abandon, de lâcher, de la mort alors il s'agrippe. Ce même poteau est objet de désir pour l'un et objet de terreur pour l'autre. Il y a toujours une dualité dans mes tableaux, les deux faces d'une pièce + la tranche ! »
Idem dans le Bain (2020, 200 x 270 cm) où trois personnages sont alignés dans une sorte de marécage. Le premier semble chercher quelque chose dans cette étendue d'eau (de l'or?) tandis que le dernier lève les bras au ciel : il ouvre la bouche, en train de crier de joie ou de douleur. Les deux sont possibles. Les couleurs sont également dans un entre-deux :
« Elles ne sont pas franches, elles dérapent. Les bleus sont plutôt verts, les verts plutôt émeraudes, les roses plutôt passés... On ne sait jamais trop. Ma peinture représente des vestiges de l'histoire de la peinture, avec des aplats, des coulures, des formes abstraites, du figuratif... »
Plusieurs lectures se superposent et se nourrissent, entre poésie et sensualité.
Super héros ou super Éros ?
Alors, pourquoi des super héros/Éros nus ?
« Mes personnages n'ont pas besoin de costume car ils sont dans la conscience de ce qu'est la vie, ils sont dans la pulsion de vie et le désir de vivre. »
Ils sont en prise directe avec les énergies archétypales qu'a théorisées Freud, opposant justement pulsion de vie et pulsion de mort, Éros et Thanatos. Les deux sont complémentaires, essentielles et Eros domine dès lors que l'on se place du bon point de vue. Ses êtres hybrides ne jugent pas, sont dans l'immédiateté, dans l'acceptation d'eux-mêmes et des autres. Ce qui va à l'encontre d'une société qui agite les peurs artificielles, mères de tous les replis, identitaires ou politiques. Alors Vincent Gicquel choisit son camp, celui d'Éros.
« L'amour fait tout, plus rien n'est grave. »