« Corps étrangers » est le titre de la première exposition individuelle de l’artiste allemande Tina Schwarz à la Galerie RX à Paris. Schwarz est une peintre qui s’inspire du passé de son médium sans l’imiter, qui pense et travaille de manière profondément contemporaine sans jamais chercher à être dans l’air du temps. Elle travaille pendant des semaines sur un thème, lit et fait des recherches jusqu’à en pénétrer l’essence, qu’elle transpose ensuite dans des inventions picturales originales. Ses images sont toujours concises et opèrent pourtant avec une polysémie, elles aspirent à l’homogénéité et construisent en même temps un labyrinthe polyfocal d’incertitudes. Schwarz travaille avec un langage visuel métaphorique qui est sensuellement attrayant, mais qui présuppose un regard réflexif de la part du spectateur.
Ce qui est spécifique à ses nouveaux travaux, c’est qu’elle dessine avec les couleurs et confère ainsi aux représentations quelque chose d’immédiat et de dynamique, qu’elle transforme en une tension picturale pulsatile par l’ajout précis de surfaces calmes. Le terme "corps étranger" vient à l'origine de la médecine et désigne un objet externe qui a été introduit dans un corps humain. Cette idée de base a donné naissance à un champ de métaphores variées, qui va du rejet et de l'incorporation d'un corps extérieur, en passant par la croissance et la prolifération d'une tumeur interne, jusqu'à la notion symbolique de l'étrangeté dans un système donné. La fascination et l'irritation qui découlent du terme réside dans sa relation ambivalente entre l'objet-étranger et le corps, qui ne permet pas une séparation claire. Il intègre le passage de l'étranger manifeste au propre. tout comme le fait de devenir étranger à soi-même. L'artiste a choisi comme métaphore le motif d'une canne, qui peut faire office de prothèse,de béquille, de bâton de marche, de sceptre ou de matraque. Les corps représentés sont marqués par l'utilisation de ces objets, qui les place dans un mouvement spécifique.
Schwarz ne montre cependant pas seulement les corps en mouvement mais aussi dans un état de transformation : les membres s'ossifient ou se dissolvent, les visages se figent ou tombent en larves et les prothèses élargissent les corps. Parler de transformations, c'est notamment parler de l'expérience du temps. En tant que contemporaine attentive, l'artiste a naturellement perçu et réfléchi consciemment aux changements survenus dans la société ces dernières années. Tous ces bouleversements dans la vie publique et privée, Schwarz les a représentés de manière métaphorique dans ses tableaux. Ses personnages ont vacillé parce que les certitudes se sont effondrées et que l'on ne pouvait plus compter sur les fondements de la vie en commun. La stabilité ne semble plus possible qu'avec des moyens techniques et tenir et soutenir l'autre devient un exercice d'équilibre.
Roman Grabner, 2022 (extrait)