Pour sa première exposition à la galerie RX, Raymond Depardon présente une série de photographies en couleur prises en 1983 et 1984 à la Ferme du Garet et dans ses environs, près de Villefranche-sur-Saône. L’accrochage comprend une dizaine de tirages, moyens et grands formats, ainsi que des contacts 20x25 originaux.
Ce travail est né d’une commande de la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale), dans le cadre de la mission photographique initiée par Bernard Latarjet et François Hers, directeurs de projet, en avril 1983.
Alors qu’il vient de rentrer de New York, où il a séjourné entre 1980 et 1982, Raymond Depardon est l’un des premiers auteurs sollicités pour documenter l’aménagement du territoire, alors en pleine mutation. La construction de l’autoroute A6, en bordure des terrains cultivables qui appartiennent à ses parents agriculteurs, l’amène à « détourner » cette commande en choisissant un sujet éminemment personnel : sa terre natale.
Raymond Depardon a changé de perspective depuis qu’il a découvert dans les galeries de Manhattan les œuvres de Walker Evans et de Paul Strand, et participé à un séminaire en Californie, à l’initiative de la revue Aperture. Il s’enthousiasme aussi pour le grand format et la couleur portés par une nouvelle génération de photographes américains, tels Stephen Shore et Joel Meyerowitz. La mission de la Datar, d’une durée d’un an, va lui permettre à la fois de se ressourcer dans le creuset familial et de se renouveler sur le plan technique et artistique. Il vient d’ailleurs de faire l’acquisition à New York d’une chambre Deardorff 20x25, qui se monte et se plie très rapidement (folding). Elle lui rappelle la petite chambre 13x18 que ses parents lui avaient offerte pour son certificat d’études et qu’il avait dénichée dans une brocante à Lyon.
Raymond Depardon a commencé, en effet, très jeune la photographie puisqu’à 16 ans, il monte déjà à Paris pour y devenir reporter-photographe. Dès 1966, à l’âge de 24 ans, il co-fonde avec Gilles Caron l’agence Gamma, avant de rejoindre, en 1978, Magnum Photos. Son séjour outre-Atlantique, et notamment sa « Correspondance new-yorkaise », qui a fait l’objet d’un feuilleton quotidien du 6 juillet au 12 août 1981 dans Libération, constituent un tournant dans sa carrière. Cette chronique estivale lui permet de prendre ses distances avec le photojournalisme, comme en témoigne la légende qui accompagne l’image prise dans les toilettes « dames » du magazine américain Géo, sur Park avenue : « J’ai envie de faire des photos à la chambre. J’ai envie de faire ma famille dans la Dombes. Je pense à la campagne… ça doit être la moisson maintenant ! »
La route de Beauregard, où est sise la ferme du Garet, lui offre une nouvelle ère de jeu et de réflexion, loin du théâtre de la rue ou des conflits qui rythment l’actualité du monde. Il cadre l’intérieur de la ferme comme les extérieurs, se promène de la Saône jusqu’à la Dombes, dans le département de l’Ain, et le village de Savigneux, distant d’une petite dizaine de kilomètres, où est née sa mère. Sa chambre noire lui impose des poses longues. Le temps est devenu un précieux allié. Il s’approprie lentement le paysage, comme ses «pères » américains. Pour y trouver d’autres repères et pour mieux agrandir le champ des possibles.
Philippe Séclier
Commissaire d’exposition