RX - Paris

La Forêt du Nord

Bae Yoon-Hwan - Park Gwang-Soo

La « Forêt du nord » est une métaphore des lieux montrés dans les œuvres des deux peintres coréens : Bae Yoo-Hwan et Park Gwang-Soo. Ils sont tous les deux nés dans les années 1980 et ont passé leur adolescence pendant la période de « l’IMF Crisis » en Corée du Sud [Crise économique asiatique de la fin des années 1990]. Cette époque, marquée par une récession économique (2008) et une tension ininterrompue avec la Corée du Nord, renvoie à une importante anxiété. La globalisation radicale et la vague néo-libérale, la menace de guerre et le commencement d’une nouvelle guerre froide – la bataille navale de Yeonpeong-do en 2002, le bombardement sur cette même île en 2010, et le développement de l’arme nucléaire en Corée du Nord – ont marqué d’une profonde inquiétude la mentalité de cette génération. Une grande brume enveloppe aujourd’hui la société coréenne associée, depuis 2016, à un changement politique et social radical à laquelle s’ajoute l’ambiguïté de la négociation sur la dénucléarisation de la Corée du Nord.

La forêt, qui apparaît dans les travaux des deux artistes, laisse à penser qu’elle n’est pas simplement une nature à part, mais plutôt un endroit symbolique chargé de sens et significations. La « Forêt du nord » semble être à la fois une source d’inquiétude et d’attachement. Elle est un endroit mystérieux et séduisant, chargé d’évènements et de mémoires.

Park Gwang-Soo propose depuis une dizaine d’années un travail pictural basé sur le dessin en noir et blanc. Ses œuvres consistent à multiplier les traits noirs à l’acrylique avec un pinceau qu’il a lui-même fabriqué à l’aide d’un morceau d’éponge taillé et fixé au bout.

La superposition des traits, jusqu’à l’assombrissement de la toile, amène naturellement au thème de la forêt. Ce jeu de tracés et de matière, dessinant un ensemble unique et intense, produit une perspective faite de couches infinies et diffuses. Ainsi, par le contact avec la toile, le bout de l’éponge-pinceau crée une surface de trait lisse et semi-transparente.

Souvent, des personnages apparaissent au milieu de ses peintures, comme absorbés par le paysage.  Comme dans beaucoup de représentations du paysage en occident, l’apparition d’un personnage aux contours flous oriente le regard du spectateur. C’est un aspect important pour la relation entre l’artiste et le paysage, qui devient le fil conducteur entre le lieu, la narration, la mémoire et le spectateur. Sa peinture évoque la tranquillité, l’inquiétude (et l’immanence), le souvenir, la présence et l’absence d’un être errant dans une atmosphère incertaine. Spontanés et imprévisibles, la beauté des traits noirs laisse pénétrer une éblouissante lumière faisant apparaître du fond de la toile des aspects contradictoires tels que la splendeur et le secret.

Bae Yoon-Hwan, qui réside et travaille depuis peu à New-York, trouve lui aussi dans le dessin la base de ses peintures. Ses images rappellent celles des peintres romantiques tardifs comme F. de Goya, H. Daumier et J.Ensor. Les personnages semblent être possédés par des forces surnaturelles ; le contraste dramatique de la lumière, les animaux personnifiés, les lieux fantasmagoriques, laissent entrevoir des scènes surréalistes contant une fable ou une féérie.

Par exemple, « Brushes Loaded for Bears » (2014) met en scène des dizaines d’ours en train de chasser et dévorer des poissons dans le torrent d’une forêt. Dans ce dessin-peinture (crayon et huile) gigantesque de 8 mètres de large, la forêt semble bouillonner de folie. Ces animaux, massifs et obnubilés par les poissons qu’ils ont dans la gueule, s’adonnent chacun à leurs assauts respectifs tout en fixant le spectateur.

Les lieux (re)présentés dans la peinture de Bae Yoon-Hwan (forêts, grottes, eaux profondes, des prairies dans la nuit) donnent un aspect souvent irréel et laissent à deviner des histoires provenant de rêveries ou de cauchemars. Ce sentiment d’épouvante provient des innombrables menaces et craintes que le monde et la société donnent aux individus. Alors, est-ce par hasard si ces sentiments d’isolement et d’incapacité à percevoir la totalité, d’impossibilité de prévoir et d’hostilité ambiante, entourent l’artiste contemporain et renvoient aux styles européens des siècles derniers ? D’autant plus lorsqu’il peint depuis une Corée du Sud si éloignée de l’Europe ?

 

YOO Jinsang, commissaire de l’exposition

 

Commissaire indépendant et Critique d’art. Professeur de l’Université d’Art de Design de Kaywon. Directeur artistique de Media City Seoul 2012, Daegu Media Art Festival 2013. Les années croisées Corée-France 2016-2017. Board Member of KAMS et KIAF. Directeur-Adviser de Kukje Gallery 2005-2017. 

C’est une grande fierté pour moi de présenter ces deux artistes marquants en France. Je remercie tout particulièrement la Galerie RX pour cette exposition collective. Je suis également très reconnaissant envers le KAMS qui a largement contribué au projet. Je remercie tous ceux qui ont participé et aidé à la réalisation de cette exposition.