Impressions de papiers
Enfant, Kim Chun Hwan adorait aller jouer à la scierie de son père. Déjà, la découpe et les copeaux, avec lesquels il s’amusait à réaliser des voitures et des bateaux. Beaucoup plus tard, au printemps 1995, il est venu à Paris et s’est installé dans un premier temps à Chatillon, chez le sculpteur Shim Moon-Seup qui lui prêtait une partie de son atelier. Il y avait là quelques caisses en bois conçues pour transporter des œuvres. Il en a récupéré les panneaux qu’il a brûlés, grattés, peints, puis striés, véritables prémices de ses futurs tableaux.
Kim Chun Hwan a alors eu l’idée de compresser quelques feuilles de magazines de mode qu’on lui avait donné, de les coller sur ses panneaux et de créer ainsi des reliefs. Quelque temps plus tard, après avoir saturé une planche de ses papiers chiffonnés, il a décidé de scier toute la surface à l’horizontale. La coupe a alors cassé le chaos originel des couleurs pour créer une autre cartographie avec les arêtes blanches nées de l’aplanissement du relief. Pour Kim Chun Hwan, la voie était tracée. Mais il a rapidement compris qu’il allait devoir récupérer énormément de pages de magazines. Cette collecte, en brocante, auprès de ses voisins ou de stocks d’éditeurs, fait aujourd’hui partie de sa démarche. Une fois ses revues entassées à l’atelier, il lui faut choisir les pages qui peuvent lui servir, les découper et constituer des piles, par dominantes de couleur et par variations d’épaisseur, dans lesquelles il pioche pour orienter la gamme chromatique désirée. Il encolle ensuite ces milliers de feuilles (jusqu’à dix mille pour une grande toile) de chaque côté, avant de les froisser dans un même geste maintes fois répété, telle la récitation d’un mantra. Après un long séchage qui rend cet agglomérat de papier aussi dur que de la pierre, vient le temps de la découpe qui dure plusieurs heures, d’abord à la scie puis au cutter, et lui permet selon la ou les profondeurs choisies de créer des rythmes, des vagues, des vibrations visuelles. Ce n’est qu’à l’issue de cette opération d’une grande maîtrise que Kim Chun Hwan découvre toutes les nuances du résultat final.
Car si l’artiste, par la façon de chiffonner ses feuilles en mettant en avant le recto ou le verso, peut privilégier telle ou telle couleur – ici une tendance blanche sur une œuvre, là une plus rouge bleutée sur une autre, etc- il est en fin de compte soumis au hasard de la disposition initiale des boules de papiers. Kim Chun Hwan revendique d’ailleurs cette part qui lui échappe, cette dimension aléatoire de sa démarche basée sur l’équilibre entre le prévu et l’inattendu, le connu et l’inconnu, le contrôlé et l’accidentel.
Derrière son travail sur la matière et sur la possibilité d’une autre monochromie, qui en fait un digne héritier des Park Seo-Bo, Chung Sang-Hwa, Ha Chung-Hyun… ses ainés du mouvement Dansaekhwa (le monochrome coréen), Kim Chun Hwan propose aussi une réflexion sur le temps avec, enfouies dans ces plis, les informations, publicités et tendances d’une époque contenues dans les pages désormais pétrifiées. Tout en restant fidèle à la forte tradition du papier en Corée, il dénonce également une société de surconsommation et soulève les questions de la déforestation, de l’écologie, du recyclage. Une façon d’ouvrir des fenêtres pour créer une prise de conscience et un courant d’air frais sur le monde dans lequel nous vivons.
Henri-François Debailleux