« Júlio Villani. Conflicting Perspectives »
Du 9 décembre 2021 au 22 janvier 2022
Si Júlio Villani a déjà eu l’occasion de présenter son travail à New York (Museo del Barrio, 2004), il s'agit ici de son tout premier solo show dans la ville. Il y présente une vingtaine d’ œuvres inédites, produites spécialement pour l’exposition.
Les couleurs sont plus franches et soutenues que celles auxquelles nous avait habitué l’artiste ces dernières années – mais la trame de ses structures repose néanmoins encore et toujours sur la ligne, cette ligne dont Villani aime à dire que s'il en supprimait ne serait-ce qu'une seule, tout l'édifice pourrait s'effondrer.
Cette instabilité inhérente, recherchée, des formes géométriques est sûrement la marque d’un héritage néo-concret – auquel l’artiste insuffle de façon presque espiègle une dose de hasard. Il rejoint en cela l'artiste franco-hongroise Vera Molnar qui s’amusait à injecter dans la démultiplication de ses carrés « 1% de désordre » pour leur conférer une forme sensible, émouvante et vivante.
Chez Villani, la composition est d’autant plus vive que ses lignes, résolument imprécises, ont un souffle, semblent se fondre aux jonctions des plans. Elles sont tracées, effacées et retracées au fusain sur la toile, laquelle, apprêtée au gesso (qui lui confère cet aspect mat, mais aussi une grande sensibilité à la moindre intervention sur sa surface) garde la mémoire de sa construction, devient un palimpseste que la couleur ne tente surtout pas de masquer. Le processus de réalisation – le mouvement de la main, les hésitations de l’artiste – a sa place, réelle et visible, dans l'œuvre achevée.
La veine sensible se fait sentir également par l’utilisation très particulière que fait Villani de la perspective – laquelle refait l’apparition dans son travail, après des années de compositions explorant plutôt l’aplat que le volume.
Comme sa ligne, sa perspective n'est ni stricte ni rigoureuse – bien au contraire : elle se trouve à la croisée de la conception occidentale qui fixe un point de fuite pour une percée vers l'infini, et la perspective orientale qui ramène tout au même niveau en un aplat fermant l'espace. « Un conflit entre les lignes de fuite et les perspectives que je trouve symptomatique de ce que je vis – que nous vivons tous? – actuellement… » confie-t-il, expliquant par là-même le choix du titre de l’exposition.
En effet, on ne pourrait présenter cet ensemble d’œuvres sans en évoquer les titres : Idée fixe, Leçon de piano, Limites de la raison, L'Œuf comme un acte de création, Perspectives contradictoires... Ils intriguent et ne sont pas dénués d'humour, véritable trait de caractère de l’artiste, qui aime à jouer sur les mots dans la digne tradition de L'OuLiPo[1]. Et lorsque un titre ne lui vient pas de façon spontanée face à la toile, il pioche dans un carnet dans lequel il collectionne toutes sortes de mots ou de phrases, en quête de la bonne correspondance… Des titres readymade en quelque sorte, composés avec des « mots-trouvés ».
Comme souvent chez Villani, une piste peut en cacher une autre. De l’adaptation à un usage littéraire des leçons de Duchamp à la ligne organique née de la jonction des deux plans prôné par Lygia Clark, tout se passe comme si l’artiste rembobinait et déployait sans cesse son héritage artistique vers un souffle originel. Il est possible que le franco-brésilien Villani, qui se dit volontiers «d’ici-de là», ne veuille pas choisir entre le concret et l’abstraction. Il nous présente ainsi une douce confrontation de la géométrie et du sensible, dans laquelle les éléments picturaux ont leur propre réalité – et la perspective, ses propres règles.
Biographie
Né en 1956 au Brésil, Julio Villani vit et travaille à São Paulo et à Paris, où il s’établit dans les années 80, après des études en arts plastiques à la FAAP, São Paulo, Watford School of Arts, Londres et ESNBA, Paris.
Son double parcours se reflète dans la liste de ses expositions, qui se succèdent d’un côté et de l’autre de l’Atlantique : MAM et Musée Zadkine, Paris ; Pinacothèque et MAM, São Paulo; Musée Reina Sofia, Madrid, Fondation Ludwig, Aix-la-Chapelle, Musée Oscar Niemeyer, Curitiba.
Son œuvre, prolixe et protéiforme (peinture, dessins brodés, vidéo, collages, assemblages), est construite dans une infinité de métaformes autour de thèmes liés au déplacement, à l’instabilité, aux mondes infinis et sans frontières qu’offrent la vie et l’imaginaire. Adoptant tour à tour la géométrie ou les outils de l’enfance, nourrie de références, elle questionne perpétuellement le sens des mots et des choses, guète la parcelle d’inattendu enfouie dans le mille-fois-vu : objets usuels et rêverie sont pour Villani l’endroit et l’envers d’une même réalité, comme les deux faces d’une broderie.
Il n’est pas surprenant qu’il ait choisie cette technique pour la réalisation d’une œuvre monumentale et site-specific à l’Abbaye du Thoronet en 2019, à l’invitation du Palais de Tokyo.
[1] Ouvroir de littérature potentielle , mouvement littéraire porté au milieu du XXe siècle par Raymond Queneau – avec la participation de Georges Perec, Italo Calvino, entre autres.