Galerie RX, Paris

Bae BIEN-U

Le Grain du Temps

Pour sa 4ème exposition personnelle à la Galerie RX, le photographe coréen Bae Bien-U (né en 1956), présente 3 séries témoignant de sa capacité à saisir l’essence de ce qu’il capture. Des forêts de la Corée du Sud aux arbres de Séville, Bae Bien-U nous transporte également au cœur de l’architecture vénitienne dans Le grain du temps. Après avoir présenté Venise à la Fondation Wilmotte et L’Alhambra au musée Guimet, ces œuvres seront pour la première fois exposées en galerie. Quant à Sonamu, quelques-uns des rares formats carrés seront visibles.

            Il y a comme un grain, cette légère particularité de la chair qui fait chaque être différent. A Venise, sur la lagune, l’eau étale évoque la peau, cheveux et poils ondulent à sa surface. Rien n’est cerné, la lumière glisse, nébulise, ondule. De Bae Bien-U on retient les arbres ; ils marchent. De Bae Bien-U je retiens que le corps est partout. Ce tronc qui, devant la lagune, nous cache le scintillement sur le miroir, c’est la main qui protège nos yeux. Ces algues ce sont les buissons secrets du corps, c’est le moment d’après. Le grain du temps. Ces ramures ce sont cheveux au vent. Dans le regard de Bae bien-U rien n’est littéral, tout nous parle d’autres choses, l’humain est partout bien qu’il ne soit jamais là. Il est la langue même des images. Il est la mesure, devenue indistincte par le jeu du regard, du monde. Prés ou loin ? Paysage ou détail ? Et l’absence du ciel ou, souvent, son enfoncement laiteux dans l’espace de l’image, sa disparition, entretiennent cette ambiguïté d’un déchiffrement qui peut se faire suivant deux prismes tout différents, l’apparent et le caché.

            De la série vénitienne je retiens une sensualité d’animal tapie. Il émerge de l’eau tel un corps sur le blanc froissé d’un drap, en contre-plongée il est saisi dans le lointain, fatigués, membres repliés. La brume monte ; on pense au repos dans la chaleur humide de l’été. J’y retrouverai presque l’odeur si particulière qui mêle la vase, les herbes – comme celle d’un corps au soleil –, l’eau saumâtre, pas tout à fait de mer.

            Pas tout à fait... me rappelle Mon rêve familier composé par Verlaine. Sa femme inconnue, « n'est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Ainsi en va-t-il du monde suivant l’artiste qui saisit autrement et nous fait voir autrement. Rarement aurais-je été plus intriguée par le travail du regard qu’avec Bae Bien-U à Grenade, qui m’est un pourtant un « rêve familier ». Il y a capturé le mouvement des arbres comme s’ils étaient en marche vers un ailleurs que son cadrage ne laisse pas deviner. Arbres humains qui se déplacent comme une foule. Ces photographies, faites en 2009 lors d’une résidence à Grenade, à l’invitation du Patronato de la Alhambra, saisissent leur danse, sous une pluie de lumière divine. Elle est douce, cotonneuse, peu méditerranéenne en somme ; elle contraste avec la noirceur des pins, arbre familier de la Corée, et, parfois, avec le détail de leur épiderme écailleux, comme une peau sur laquelle le temps a opéré.

 

Sophie Makariou