RX&SLAG est heureuse de présenter, en collaboration avec le Père Yves Trocheris, curé de Saint-Eustache à Paris, les dessins préparatoires du Chemin de croix que Vincent Gicquel a peint pour l'église de Trévérien (Ille-et-Vilaine) en 2022. Le projet, une commande de François Pinault pour sa ville natale, compte 14 toiles pour chacune des stations de ce Chemin de croix. On en retrouve la genèse à travers les aquarelles présentées aujourd'hui à Saint-Eustache. Un projet intime et inédit pour l'artiste, qui ne pouvait qu'être dévoilé dans une église et en dehors de la galerie.
« Est-ce que tu te sentirais capable de faire un Chemin de croix ? » C'est par ces mots de François Pinault que l'aventure a commencé. Nous étions en 2021 : la Bourse du Commerce venait d'ouvrir ses portes et le collectionneur était curieux des dernières œuvres créées par Vincent Gicquel à Berlin. Ce dernier se souvient : « Dans la série que je lui ai présentée, il y avait un personnage portant un autre. Le tableau s'appelait Souffler et le lien était assez clair pour lui. » On peut saluer l'intuition du collectionneur car, lorsqu'on connaît l'univers de Vincent Gicquel, on a du mal à imaginer que ses personnages puissent être les acteurs de cet épisode tragique et hautement symbolique du Nouveau Testament. Mais comme il l'explicite : « Mon travail, depuis toujours, s’attache à dépeindre la condition humaine, notre rapport au monde et à notre propre vie. Donc peindre un Chemin de croix, qui est une allégorie de l’existence, pouvait me sembler assez naturel au départ. Représenter les épreuves infligées à un homme que l’on condamne à un destin tragique, c’est toute l’histoire de ma peinture. J’étais donc sur mes terres. Avec de surcroît, une palette qui s’accorderait aux vitraux colorés de l’église. J’ai entrepris ce travail confiant, non sans me rappeler qu’un certain Christ jaune était né, lui aussi, en terre Bretonne voilà plus d’un siècle. »
14 dessins préparatoires
La phase de recherche a été longue et intense, d'où une grande quantité de dessins produits pendant plusieurs mois, mais aussi quantité de détruits. On pourrait plaquer les mots de Matisse alors qu'il travaillait à la Chapelle du Rosaire de Vence pour expliciter l'état d'esprit de Vincent Gicquel, sa quête et l'importance des dessins comme terrain d'exploration : « Ces choses-là, il faut les savoir tellement par cœur qu'on puisse les dessiner les yeux fermés », ou encore, « Je n'ai pas cherché la beauté, j'ai cherché la vérité. » Les 14 exemplaires qui ont été retenus pour cette exposition livrent des étapes préparatoires des œuvres de l'église de Trévérien et mesurent tous la même taille – sauf 2 plus petits. Certains sont proches de l'œuvre achevée, d'autres sont au plus proche des premières esquisses. Mais tous retracent le déroulé du récit traditionnel : de la condamnation à mort de Jésus à la mise au tombeau, en passant par le portement de la croix sous le poids de laquelle il tombe à plusieurs reprises, la rencontre avec sa mère ou avec sainte Véronique qui lui essuie le visage, la crucifixion ou la descente de croix. La multitude de dessins produits par l'artiste témoigne de la difficulté à aborder un tel sujet. « Au bout d'un moment, c'était tellement complexe face au poids de l'histoire de l'art que j'aurais pu abandonner. Comment pouvais-je faire quelque chose de singulier et de fort après Caravage, Matisse et tous ceux qui ont fait des Chemins de croix dans toutes les églises catholiques ? »
Le ton juste
Il a fallu trouver le ton juste. Face à la responsabilité d'aborder un sujet qui touche à des convictions intimes et religieuses, il n'avait d'autre choix que de s'éloigner du caractère outrancier de ses personnages pour intégrer un certain classicisme. « Je ne pouvais pas faire autrement. Si je veux dire ''je t'aime'', je ne vais pas te dire ''lampe bleue'' ou ''velours'', je vais dire la même phrase depuis Roméo et Juliette car on ne peut pas dire les choses autrement lorsqu'elles sont importantes. » On voit défiler les fantômes des maîtres de l'histoire de l'art dans le trait, dans un visage ou une attitude. Si à la station 13, lorsque Jésus est détaché de la croix, on ne peut s'empêcher d'y déceler l'ombre de Rubens, c'est à un Peter Doig halluciné que l'on pense à la station 2, lorsque Jésus porte sa croix, ou à Simon Vouet et Delacroix lorsque Jésus est dépouillé de ses vêtements au tableau 10. La violence est en revanche indescriptible lors de la crucifixion, le tableau 11. Ce dessin relève de l'oxymore tant beauté et horreur se rejoignent. On découvre l'art de Vincent Gicquel sous un autre jour, tout en retrouvant sa palette, déclinant les lavis de bleus et de verts transparents. Un seul dessin est entièrement rouge, celui avec le voile de Véronique (tableau 11).
Toucher à l'universel
Fidèles et curieux doivent retrouver une certaine solennité et être touchés. « Ici, on ne peut pas croire à l'histoire si le trait n'est pas classique. » Et en effet, cette humanité qui prête à sourire habituellement sous le pinceau de Vincent Gicquel s'est faite ici plus grave. Elle est vraie, fragile, pleine d'humilité, de miséricorde et de souffrance. Elle se relève à chaque fois, portée par une pulsion de vie, par des convictions. On peut faire le parallèle avec le travail de l'artiste dans son atelier, mais aussi avec le parcours de vie de chacun. Il touche à l'universel et son propos va au-delà de toute religion, il pointe du doigt ce qui nous rend humain. « Mon propos est celui de l'espérance, de pouvoir s'aimer, de se comprendre malgré les malentendus. C'est là le vrai partage. »