« Ce qui n’est pas fixé n’est rien,
ce qui est fixé est mort ».
Paul Valéry, Cahiers
« Pas un jour sans ligne ».
Paul Klee, Credo du créateur
La série de peintures présentée par Julio Villani dans sa deuxième exposition à la galerie RX porte un titre générique : collapsible architectures. L’anglicisme est de mise, car les vocables français « pliable » et « démontable » ne comportent pas la dimension imprévisible de l’adjectif anglais : celui qui comporte l’effondrement, qui peut s’écrouler à tout moment.
Sa production picturale répond à ses Instabilis, assemblages soutenues par la tension d’un fil, aux formes branlantes, par lesquelles Villani cherche l’interruption continuelle du mouvement : l’obtention d’un état oscillant éternellement entre le mobile et le stable (comme la flèche de Zenon, « qui vole et qui ne vole pas », ou un Achille « immobile à grands pas »1).
Après tout, il n’y a jamais d’immobilité véritable. « Rien n’existe en état permanent », suggère Roland Barthes ; « l’arbre est à chaque instant une chose neuve », nous nous focalisons sur sa forme que parce que nous ne saisissons pas la subtilité de son mouvement.2
L’œuvre de Villani toute entière semble bâtie selon un système de construction (mentale) ayant trait à la relativité de la fixité, consistant à maintenir en suspens, le plus longtemps possible, ces transformations silencieuses, ces mouvements imperceptibles qui séparent l’être de son devenir. La ligne n’est pas ici la plus courte distance qui relie deux points mais ce qu’il en résulte quand un point part en vadrouille. Impossible à prévoir jusqu’où il ira. Parfois, bondissant du cadre, il avance dans l’espace ; la ligne se fait alors fil et ficelle, corde et cordeau, et dessine dans l’air.
Les linéaments de l’œuvre de Villani sont autant des moyens de mettre en branle la création et rendre instables les frontières. Dans ses architectures, ils s’étendent bien au-delà de la toile : le cadre n’est qu’une portion d’un tout qu’il nous donne à voir, située entre un début invisible et une fin imaginaire, comportant des bifurcations potentielles. L’artiste ne se prive pas de les emprunter, toutes, les unes après les autres, les unes simultanément aux autres.
En résulte un art multiple, fait de chevauchements poétiques, où la ligne trace son chemin – de peinture en broderie, de collage en sculpture – en toute liberté.
1Paradoxes de Zénon d’Élée évoqués par Paul Valéry dans le poème Le Cimetière marin.
2Roland Barthes, Le Plaisir du texte, dans Œuvres complètes.